Israël : Raz Akta, l’un des uniques créateurs de bijoux yéménites au monde
- Caroline Haïat
- il y a 6 jours
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Transmettre la culture juive yéménite à travers les bijoux, tel est l’objectif de Raz Akta, 23 ans, né et élevé en Israël, d’origine yéménite et roumaine. Très ému, Raz nous accueille dans son atelier qui lui sert également de chambre dans la maison de ses grands-parents à Rehovot. C’est dans ce lieu cher à son cœur que Raz confectionne avec passion de véritables joyaux anciens yéménites, auxquels il apporte sa touche de modernisme. Avec sa sœur, également bijoutière et sa mère artiste de renom, Raz perpétue les traditions familiales et cherche à étendre son influence à travers le monde : ses bijoux se vendent aux quatre coins de la planète.
"Il est primordial pour moi de préserver cette tradition et de véhiculer la richesse et la beauté de la culture yéménite avec mes créations. Auparavant, personne dans ma famille ne s’était penché sur la question de nos origines, c’était même quelque chose que l’on cachait instinctivement. Il y a quelques années, ma mère a commencé à s’intéresser à ses racines et à faire des recherches sur la communauté juive du Yémen. A l’occasion de son anniversaire, il y a deux ans, je l’ai accompagnée dans une boutique ancienne car elle voulait s’offrir un collier yéménite; je n’avais alors aucune idée de ce que cela représentait, mais dès que j’en ai aperçu un, j’ai su immédiatement que j’avais trouvé ma vocation. Cela a été une vraie révélation, je me rappelle avoir dit à ma mère sur place que je voulais en faire mon métier", se souvient Raz, les larmes aux yeux.
Cette forte attirance pour la culture yéménite ne l’a en effet plus jamais quitté. Rapidement, le jeune homme comprend qu’il est destiné à perpétuer cette forme d’art presque oubliée. Après des mois de recherche, il rencontre le dernier maître orfèvre disposé à lui enseigner les bases de la création de bijoux anciens – une tradition historiquement transmise uniquement de père en fils.

"Pendant un an, j’ai suivi des cours avec un professeur à Rosh HaAyin une fois par semaine durant trois heures, c’était exceptionnel! Une expérience formidable qui m’a également fait grandir et m’a plongé dans mon passé familial. Après chaque cours, mon professeur et moi dégustions même une soupe yéménite. En parallèle, j’ai également fait des recherches pour me documenter sur le sujet car je voulais tout connaître sur ces traditions ancestrales, je continue à apprendre chaque jour et je mets tout mon savoir dans chaque bijou", explique Raz.
Raz s’est profondément immergé dans l’histoire des Juifs du Yémen et a ainsi perfectionné ses compétences dans ce travail méticuleux qui lui apporte aujourd’hui équilibre, satisfaction et sentiment d’appartenance.
Des bijoux dotés d’une symbolique forte
Raz crée toutes sortes de bijoux faits main, il lui faut en général entre quelques heures et un mois et demi pour réaliser ces merveilles inspirées d’orient. Empreinte des riches traditions du Yémen tribal, la collection Galbi par exemple incarne la protection, la guérison et un profond sentiment de connexion. Les boucles d'oreilles triangulaires Galbi, ornées de pierres Aqiq (cornaline), favorisent l'équilibre émotionnel, leur design triangulaire offrant une protection contre les énergies négatives. Les bagues Galbi, combinant des pierres Aqiq et Jeza (onyx), symbolisent l'unité et la défense spirituelle. Ces pièces originales créent une puissante fusion de force, de guérison et de connexion à travers les âges. Chaque bijou porte une symbolique et une signification reliées au passé.
"A l’époque, les bijoux yéménites avaient tous une signification et un objectif, ils n’étaient pas et ne sont pas de simples bijoux. Ils avaient notamment pour fonction de protéger la personne qui les porte, la soigner d’une maladie, la préserver du mauvais œil, ou encore l’aider à tomber enceinte et contribuer à la parnassa (abondance financière). Si quelqu’un avait un problème ou se sentait menacé, il allait chez le bijoutier et achetait un bijou spécialement conçu pour lui. Par exemple, dans le collier avec un petit boîtier qui ressemble à une mezouza, certains écrivaient des bénédictions pour avoir une sorte de protection, la forme de la mezouza conservait le côté pur du bijou", raconte Raz.

"Aujourd’hui, je m'imprègne de tous ces éléments et symboles et je les intègre à ma manière dans mes bijoux. Je les adapte à la période moderne actuelle, tout en maintenant la tradition yéménite. Les bijoux yéménites anciens sont en général très lourds à porter, donc je les allège en créant des pièces que l’on peut facilement mettre au quotidien, mais aussi des créations plus élaborées pour les occasions spéciales", poursuit le jeune homme en montrant sa dernière pièce.
En général, ses clients perçoivent directement le lien entre ses bijoux et la culture ancienne du Yémen. Les bijoux de Raz les ramènent aussi parfois à leurs propres origines et c’est exactement ce qu’il cherche à véhiculer à travers l'orfèvrerie.
"Mon but est de mettre en avant la tradition et de susciter l’inspiration chez les différents peuples du monde. Mon rêve est qu’ils s’intéressent à notre magnifique culture et qu’ils se connectent en même temps à leurs origines, peu importe ce qu’elles sont. J’espère qu’à travers mon art, ils pourront trouver la voie qui les lie à leur culture", dit-il.
Une culture dissimulée
Véritable passionné d’histoires et de récits anciens, Raz baigne dans la culture yéménite depuis qu’il est enfant. Il questionnait sans cesse ses grands-parents au sujet des traditions et de la vie que menaient les Juifs au Yémen. Ils lui ont notamment fait part de leurs expériences et de leur enfance en Israël dans la communauté yéménite mais aussi du racisme et de la difficile intégration avec les autres communautés.
"A leur arrivée en Israël, les parents de mes grands-parents n’ont pas eu une vie facile, ils ont connu le rejet, ils n’avaient pas accès à l’éducation, ils étaient perçus comme des gens peu éduqués, de seconde zone. A la maison, on a toujours plus ou moins caché notre appartenance à cette culture. La vie m’offre désormais la chance de revendiquer mes origines et d’agir pour dévoiler au grand jour cette culture avec des bijoux qui sont des objets intemporels et qui se transmettent de génération en génération", déclare Raz. "Mes grands- parents sont aux anges, car avec ma soeur et ma mère, on se soutient et on travaille dur pour faire valoir la culture yéménite, c’est une grande fierté pour eux."
La clientèle de Raz est composée de personnes venant de tous horizons : d’Israël, des Emirats arabes unis, de France, des Etats-Unis ou encore de Hongrie. "Chaque personne qui souhaite posséder un bijou avec une symbolique se tourne vers moi, il y a aussi beaucoup de Juifs yéménites pour qui cela évoque la nostalgie du passé, mais aussi des gens qui n’ont aucun lien avec cette culture et qui s’y intéressent. J’ai également beaucoup de commandes personnalisées. Ce sont des bijoux que l’on ne voit nulle part ailleurs, c’est vraiment particulier et spécial. Il y a moins de dix boutiques de bijoux yéménites dans le monde, c’est un concept unique en son genre", affirme Raz.
"Si l’on regarde du côté de l’histoire, les Juifs yéménites résidaient à Jérusalem avant leur arrivée au Yémen et ils ont attendu 2000 ans avant de revenir en Israël. La culture juive en Israël est cosmopolite et composée entre autres de la culture marocaine, yéménite, tunisienne, irakienne ashkénaze etc, c’est une culture diverse et c’est ce qui fait la beauté du pays. La jeune génération yéménite s’intéresse davantage à ses racines car elle a peu de préjugés, mais la génération de mes parents par exemple, en a souvent honte", déplore le jeune homme.
Une première exposition à succès
En septembre et octobre derniers, Raz a exposé ses créations avec sa mère et sa soeur
à Beit Haomanim à Tel Aviv. Intitulée "Um Subiyan" ("Mère des esprits" en yéménite), l’exposition organisée par Ofra Seri a connu un franc succès. Elle a fait découvrir au visiteur le monde magique et traditionnel des Juifs yéménites et la manière dont il a façonné leurs pratiques culturelles, traditionnelles et cérémonielles au fil du temps.

"Tout au long de l'histoire, les gens se sont tournés vers les esprits, les amulettes et les incantations pour donner un sens à l'inconnu. Ces croyances ne se limitent pas à la culture juive ; elles sont apparues dans toutes les sociétés du monde. Cependant, leurs profondes racines historiques leur confèrent une place importante dans l'étude de la culture et de la conscience humaines. Aujourd'hui encore, ces croyances continuent d'influencer la façon dont les gens relèvent les défis, le pouvoir de l'auto-persuasion aidant souvent les individus à se sentir plus en sécurité et en contrôle, que les pratiques elles-mêmes aient ou non un effet tangible.Notre exposition présentait les esprits et fantômes au Yémen, à travers les bijoux de ma soeur, moi et les toiles de ma mère", explique Raz.
Le jeune homme affirme qu’il a pour projet d’exposer très prochainement au Musée d’Israël à Jérusalem. "Je souhaite toucher le plus de gens possibles pour qu’ils comprennent que cette culture fait réellement partie intégrante de la culture israélienne et ainsi faire tomber les clichés", a conclu Raz.
Caroline Haïat
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