"Je vis encore le traumatisme chaque jour depuis plus d'un an", déplore Amit Musaei, la gorge nouée. Le 7 octobre 2023, Amit, guide touristique âgé de 40 ans et père de deux fillettes, a survécu au massacre des terroristes du Hamas qui ont fait irruption dans le sud d’Israël par milliers, avec un seul but: tuer et kidnapper le plus possible d’Israéliens. Originaire de Holon, Amit était venu avec ses amis s’amuser au Festival Nova situé à Reim, à quelques kilomètres de la bande de Gaza. Après plusieurs heures de fête où l'insouciance régnait en maître, Amit est passé de la joie au cauchemar, en une fraction de seconde.
6h29 le 7 octobre, les premières alertes à la roquette retentissent dans les localités du pourtour de Gaza. Amit et trois de ses amis parviennent miraculeusement à quitter le festival à bord de leur véhicule et à s’enfuir au son des tirs nourris des terroristes et des sirènes incessantes. Doté d’un immense sang-froid, Amit conduit sans réfléchir à travers les champs puis parvient à rejoindre la route 232. Ses amis et lui, sous le choc et traumatisés, comprennent qu’ils viennent d’échapper à une tragédie. "C’était chaotique et complètement irréel", décrit Amit.
Un an plus tard, Amit ne s’est pas encore rétabli. Les blessures qu’il porte en lui sont perceptibles dans chacune de ses phrases.
Échapper à la mort
"Sur place, j’ai vite compris que la situation était inhabituelle et gravissime; malgré mes problèmes de voiture, nous avons réussi à fuir rapidement la zone où les terroristes étaient en train de commettre l’impensable. Je n’ai pas pu conduire vers le Nord car les routes étaient bondées mais j’ai pris la direction du Sud et nous avons pu nous cacher dans la cuisine du restaurant Aroma au carrefour Ourim, non loin de Reim. On est restés là-bas plusieurs heures avant de rejoindre la salle à manger d’un kibboutz aux alentours. C’était tellement stressant, j’ai conduit en slalomant entre les tirs de roquettes et les terroristes. Je suis arrivé chez moi à Holon, uniquement vers 18h30", raconte Amit, qui se remémore le drame avec émotion.
Amit et trois de ses amis ont eu l’immense chance de survivre, mais trois autres de leurs plus proches amis ont été assassinés. Adir et Shiraz Tamam ainsi que Céline Ben David, une Franco-israélienne, devaient les rejoindre au petit matin à Nova, sans savoir qu’ils trouveraient la mort dans ce lieu de fête qui accueillait des milliers de festivaliers.
"Ils sont arrivés vers 6h45 sous les roquettes et se sont cachés dans des abris près de l’entrée du kibboutz Mefalsim. A 7h15, nous leur avons parlé pour la dernière fois. Shiraz nous a dit qu’ils étaient encerclés par les terroristes et nous n’avons plus jamais eu de leurs nouvelles. Nous avons su ce qui leur était arrivé seulement deux jours après, car quelqu’un qui était avec eux dans l’abri a raconté", explique Amit, dévasté.
Les terroristes ont tué tous ceux qui étaient sur leur passage à l’entrée de Mefalsim, soit une cinquantaine de personnes, et ont lancé une grenade dans l’abri où se trouvaient les amis d’Amit. Shiraz a été tuée sur le coup tandis que son mari Adir a été abattu alors qu’il tentait de sortir de l’abri. Céline, grièvement blessée, est décédée peu après, mais sa mort n’a été annoncée qu’une semaine plus tard.
"Nous avons remué ciel et terre pour retrouver Céline qui était portée disparue pendant plusieurs jours, nous voulions croire qu’elle s’en sortirait mais malheureusement nous avons appris son décès. Nous étions totalement anéantis", raconte Amit.
Adir et Shiraz étaient les meilleurs amis et les voisins d’Amit à Holon. Ils étaient parents de deux fillettes qui sont les meilleures amies de ses filles, elles ont grandi ensemble. Céline était une amie et une collègue de travail de Shiraz, elles travaillaient comme secrétaires dans un cabinet d’avocats à Tel Aviv. Céline venait fêter à Nova la fin de son congé maternité, elle laisse derrière elle son mari Ido et sa fille Elly, âgée de six mois à l’époque.
"Aujourd’hui, je me sens toujours très mal, je vis encore ce qu’il s’est passé de manière très dure, je suis en dépression. A cause de ce traumatisme personnel, ma famille est également impactée, mes filles et ma femme connaissaient bien Adir et Shiraz et cela les touche énormément au quotidien. Nous avons du mal à digérer la situation", affirme Amit.
"Les jours qui ont suivi le 7 octobre, je voulais que tout le monde connaisse mon histoire et celles de mes amis, j’ai donc été interviewé par les grands médias dont CNN, CBS, Fox, les médias européens, australiens et africains. Je leur ai montré des extraits de vidéos que j’ai moi-même tournées dans le feu de l’action, pendant qu’on se cachait ou sur la route, mais je garde pour moi les films dans leur intégralité. Il faut que le monde entier sache ce que nous avons subi et ce que le peuple d’Israël vit chaque jour depuis des mois", poursuit-il.
Après les shiva d’Adir, de Shiraz et de Céline, Amir est tombé en dépression, il ne sortait plus de chez lui et a entamé une thérapie sur zoom. Les alertes à la roquette quotidiennes sur le centre du pays, et ce qu’il a vécu à Nova l’ont plongé dans une souffrance immense. Sa thérapeute lui a conseillé d’écrire son histoire pour lui permettre d’avancer et de surmonter sa profonde tristesse, mais Amit a décidé d’organiser des tours virtuels, avec de nombreuses photos et vidéos pour raconter son histoire.
Raconter pour guérir
Pendant la période du coronavirus, Amit s’est retrouvé au chômage et a développé son business de tours en ligne, il a donc choisi de poursuivre dans cette voie avec son histoire tragique à Nova.
"J’ai élaboré mes tours en ligne avec des photos panoramiques, mais aussi les images des caméras de surveillance des endroits où je me suis caché dans la cuisine d’Aroma. Je raconte également l’histoire de mes amis qui n’ont pas eu la chance de survivre malheureusement et aussi la manière dont je gère mon traumatisme. Sur zoom, j’ai énormément relaté les faits aux communautés juives et non juives en Amérique et ailleurs. J’ai également ajouté une dimension géopolitique afin que les gens comprennent davantage comment nous en sommes arrivés là. Je pense qu’il est essentiel de diffuser au maximum les histoires des survivants, car nos témoignages sont des preuves incontournables de l’horreur commise par ces monstres. C’est notre devoir de partager et de révéler l’ampleur de la tragédie pour ceux qui ne sont plus là pour le faire", déclare Amit.
Plusieurs mois après, Amit a enfin trouvé le courage de sortir de chez lui et reprend peu à peu un semblant de vie normale. Vers avril, il a commencé à mettre en place des tours sur le terrain, dans les localités proches de Gaza, où il revient notamment sur les lieux qui l’ont marqué à jamais.
"Il m'a fallu du temps pour retourner sur place, mais avec l’aide de mes amis et des touristes, j’ai trouvé la force de me réapproprier les lieux qui symbolisent désormais la mort. Aujourd’hui, quand je ne sors pas sur le terrain, c’est là que les mauvaises pensées refont surface, j’ai besoin d’être toujours dans l’action pour ne pas sombrer", conclut Amit.
Amit donne des tours privés mais aussi en petits groupes. Pour s’inscrire, on peut le contacter par téléphone au +972506793438 ou par mail : amit.musaei@gmail.com.
Caroline Haïat
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